Question 106

LA LOI NOUVELLE EN ELLE-MÊME

Continuons en étudiant la loi de l’Évangile, qu’on appelle la loi nouvelle. Nous la considérerons d’abord en elle-même (Q. 106), puis dans ses rapports avec la loi ancienne (Q. 107), enfin dans son contenu (Q. 108).

1. Quelle est sa nature : est-elle une loi écrite, ou une loi intérieure ? - 2. Quelle est son efficacité: justifie-t-elle ? - 3. Quelle est son origine : devait-elle être donnée au commencement du monde ? - 4. Quel est son terme : durera-t-elle jusqu’à la fin du monde, ou bien faut-il qu’une autre loi lui succède ?

Article 1

La loi nouvelle est-elle une loi écrite, ou une loi intérieure ?

Objections : 1. Cette loi, c’est l’Évangile, c’est-à-dire un texte écrit : “ Cela a été écrit pour que vous croyiez ” (Jn 20,31). La loi nouvelle est donc bien une loi écrite.

2. La loi intérieure, c’est la loi naturelle “ Ceux-là, dit S. Paul (Rm 2,14 s), accomplissent naturellement les prescriptions de la loi, qui ont ces prescriptions inscrites dans leur cœur. ” Si la loi évangélique était une loi intérieure, on ne la distinguerait pas de la loi naturelle.

3. Seuls ceux qui sont sous le régime de la nouvelle alliance ont pour loi l’Évangile ; au contraire la loi intérieure est commune aux ressortissants de l’ancienne alliance et à ceux de la nouvelle : “ La Sagesse divine passant, à travers les générations, dans les âmes saintes en fait des amis de Dieu et des prophètes ” (Sg 7,27). La loi nouvelle n’est donc pas une loi intérieure.

En sens contraire, la loi nouvelle, c’est la loi de la nouvelle alliance, et cette loi est mise dans le cœur. Jérémie l’annonçait (31,31 s.) : “ Des jours viennent, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. ” S. Paul (He 8, 10), s’appuyant sur ce texte, explique ainsi ce qu’est cette alliance nouvelle : “ Voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël : je mettrai mes lois dans leur esprit et je les graverai dans leur cœur. ” Ainsi la loi nouvelle est bien une loi intérieure.

Réponse : Selon une maxime du Philosophe, “ toute réalité se définit par ce qu’il y a en elle de plus important ”. Or, ce qui prime dans la loi de la nouvelle alliance, ce en quoi réside toute son efficacité, c’est la grâce du Saint-Esprit, donnée par la foi au Christ. C’est donc précisément la grâce du Saint-Esprit, donnée à ceux qui croient au Christ, qui constitue au premier chef la loi nouvelle. Telle est manifestement la pensée de S. Paul (Rm 3,27) : “ Où est donc le droit de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi ” ; car il appelle “ loi ” la grâce même de la foi. Il s’exprime plus nettement encore ailleurs (Rm 8,2) : “ La loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort. ” Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Comme la loi des œuvres fut écrite sur des tables de pierre, la loi de la foi fut écrite dans le cœur des fidèles ”; et encore : “ Quelles sont-elles, ces lois que Dieu lui-même a inscrites dans nos cœurs, sinon la présence même du Saint-Esprit ? ”

Il y a toutefois dans la loi nouvelle certaines dispositions qui préparent à la grâce du Saint-Esprit, ou qui tendent à la mise en œuvre de cette grâce. Ce sont dans la loi nouvelle des éléments en quelque sorte seconds, dont il a fallu que ceux qui croient au Christ fussent instruits, oralement et par écrit, tant pour ce qui est à croire que pour ce qui est à faire. Il faut donc conclure que la loi nouvelle est dans son principe essentiel une loi intérieure, mais que dans ses éléments secondaires eue est une loi écrite.

Solutions : 1. La lettre de l’Évangile contient seulement ce qui se rattache à la grâce de l’Esprit Saint par mode de dispositions préparatoires, ou comme règles gouvernant l’usage de cette grâce. Voyons d’abord les dispositions préparatoires : à ce titre, d’une part, en vue de l’intelligence que procure cette foi en laquelle est donnée la grâce de l’Esprit Saint, sont contenues dans l’Évangile les vérités propres à manifester la divinité ou l’humanité du Christ. D’autre part, comme préparation affective, l’Évangile contient les enseignements tendant au mépris du monde, ce mépris qui rend l’homme apte à recevoir la grâce de l’Esprit Saint : “ Le monde (entendons: ceux qui aiment le monde) ne peut recevoir le Saint-Esprit ” (Jn 14,17). - Reste l’usage de la grâce spirituelle; il consiste dans les actes des vertus, auxquels le texte évangélique incite les hommes de mille façons.

2. Ce qui est intérieur à l’homme peut s’entendre en deux sens : soit en rapport avec la nature humaine, et c’est ainsi que la loi naturelle est une loi mise au cœur de l’homme; ou bien c’est quelque chose qui s’ajoute à la nature et qui est introduit dans l’homme par don de grâce. En ce dernier sens la loi nouvelle est mise dans l’homme, ne se bornant pas à indiquer ce qu’il faut faire, mais aidant aussi à l’accomplir.

3. Nul n’a jamais possédé la grâce du Saint-Esprit si ce n’est par la foi au Christ, explicite ou implicite. Or par la foi au Christ on appartient à la nouvelle alliance. Il s’ensuit que tous ceux en qui fut déposée cette loi de grâce appartenaient de ce fait à la nouvelle alliance.

Article 2

La loi nouvelle justifie-t-elle ?

Objections : 1. Nul n’est justifié s’il n’obéit à la loi de Dieu le Christ “ est devenu (He 5,9) pour tous ceux qui lui obéissent, un principe de salut éternel ”. Or l’Évangile ne produit pas toujours l’obéissance des hommes ; S. Paul remarque que “ tous n’obéissent pas à l’Évangile ” (Rm 10,16). On ne peut donc dire que la loi nouvelle justifie.

2. L’Apôtre, pour démontrer que la loi ancienne ne justifiait pas, s’appuie sur le fait que son avènement développa la transgression : “ La loi produit la colère, car là où il n’y a pas de loi il n’y a pas non plus de transgression ” (Rm 4, 15). Mais la loi nouvelle a accru bien davantage la transgression, car un châtiment plus sévère est mérité par celui qui pèche encore, après le don de la loi nouvelle : “ "Si quelqu’un viole la loi de Moïse, sans pitié, sur la déposition de deux ou trois témoins, c’est pour lui la mort." De quel châtiment plus grave croyez-vous donc que sera digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? ” (He 10,28 s.) Ainsi donc la loi nouvelle, pas plus que l’ancienne, ne justifie.

3. Justifier, c’est proprement ce que fait Dieu : “ C’est Dieu qui justifie ”, affirme S. Paul (Rm 8,33). Mais la loi ancienne fut instituée par Dieu comme la loi nouvelle. Celle-ci ne justifie donc pas plus que celle-là.

En sens contraire, aux Romains (1,16) S. Paul déclare : “ je ne rougis pas de l’Évangile ; il est une force divine pour le salut de quiconque croit. ” Comme il n’y a de salut que si l’on est justifié, c’est donc que la loi de l’Évangile justifie.

Réponse : Nous venons de voir qu’il y a deux éléments dans la loi de l’Évangile. Le premier, le principal, c’est la grâce de l’Esprit Saint, intérieurement donnée. Ainsi entendue, la loi nouvelle justifie. S. Augustin le dit bien : “ Là (sous l’Ancien Testament), la loi a été proposée extérieurement, pour faire peur aux injustes; ici (sous le Nouveau Testament), elle a été donnée intérieurement pour les rendre justes. ” L’autre élément de la loi de l’Évangile est second : ce sont les enseignements de la foi et les préceptes qui règlent les sentiments et les actes humains. A cet égard, la loi nouvelle ne justifie pas. “ La lettre tue, l’esprit vivifie ”, dit S. Paul (2 Co 3,6) et S. Augustin expliques que la lettre, ici, désigne tout texte écrit qui demeure extérieur à l’homme, fût-ce le texte des préceptes moraux contenus dans l’Évangile. Il en conclut que même la lettre de l’Évangile “ tuerait ”, si, à l’intérieur de l’homme, ne s’y adjoignait la grâce guérissante de la foi.

Solutions : 1. L’objection ne porte que si l’on considère dans la loi nouvelle non le principe essentiel, mais seulement l’élément second, c’est-à-dire les enseignements et les préceptes oraux ou écrits imposés à l’homme de l’extérieur.

2. La grâce de la nouvelle alliance aide l’homme à ne pas pécher, mais elle ne le confirme pas dans le bien jusqu’à le rendre impeccable, car cela fait partie de l’état de gloire. Si donc un homme qui a reçu la grâce de la nouvelle alliance vient à pécher, il mérite une peine plus sévère parce qu’il abuse de bienfaits plus grands et ne tire pas parti du secours qui lui est donné. Mais ce n’est pas une raison pour dire que la loi nouvelle “ produit la colère ”, car, de soi, elle donne l’aide suffisante pour ne pas pécher.

3. Certes, c’est un seul et même Dieu qui a donné à l’homme les deux lois, mais il ne les a pas données de la même façon. Il a donné la loi ancienne gravée sur des tables de pierre, et la loi nouvelle “ gravée sur des tables de chair, sur nos cœurs ” (2 Co 3,3). Cette expression paulinienne est ainsi commentée par S. Augustin : “ Cette lettre-là, écrite à l’extérieur de l’homme, l’Apôtre l’appelle pourvoyeuse de mort et de condamnation ; mais celle-ci, la loi de la nouvelle alliance, il la nomme un ministère de l’esprit et de la justice, car grâce au don de l’Esprit nous vivons selon la justice et nous échappons à la condamnation du péché. ” 

Article 3

La loi nouvelle devait-elle être donnée au commencement du monde ?

Objections : 1. Après avoir dit que “ Dieu ne fait pas acception des personnes ” (Rm 2,11), S. Paul déclare que “ tous les hommes ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ” (Rm 3,23). Il fallait donc que dès l’origine du monde la loi fournît à tous le secours nécessaire.

2. Pour les hommes, la différence des temps ne compte pas moins que la diversité des lieux. Si Dieu, “ voulant que tous les hommes fussent sauvés ” (1 Tm 2,4), a commandé de prêcher l’Évangile en tout lieu (Mt 28,19 ; Mc 16,15), c’est que la loi de l’Évangile devait aussi exister de tout temps, et donc être donnée dès le début du monde.

3. Le salut de l’âme, qui est éternel, est plus nécessaire à l’homme que le salut du corps, qui est temporel. Mais Dieu, dès les origines, a pourvu au salut corporel de l’homme en mettant à sa disposition tous les êtres créés pour lui (Gn 1,26. 28 s). La loi nouvelle, éminemment nécessaire au salut spirituel, devait donc aussi être donnée dès le commencement du monde.

En sens contraire, nous lisons en S. Paul (1 Co 15,46) : “ Ce n’est pas l’être spirituel qui vient d’abord, c’est l’être animal. ” La loi nouvelle, étant ce qu’il y a de plus spirituel, ne devait donc pas être donnée dès l’origine du monde.

Réponse : Pour montrer que la loi nouvelle ne devait pas être accordée dès l’origine du monde, on peut avancer trois arguments : 1° Ce qui est principal dans la loi nouvelle, nous le savons, c’est la grâce du Saint-Esprit ; celle-ci ne devait pas être répandue en abondance avant que la rédemption consommée par le Christ eût débarrassé le genre humain de l’obstacle du péché. D’où cette parole (Jn 7, 39) : “ L’Esprit Saint n’était pas encore donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. ” Et S. Paul met en lumière le même argument lorsque, après avoir mentionné “ la loi de l’Esprit de vie ”, il ajoute : “ Dieu en envoyant son Fils pour le péché, dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair afin que la justice de la loi fût accomplie en nous ” (Rm 8,2 s.).

2° On peut aussi tirer argument de la perfection de la loi nouvelle. Ce n’est pas du premier coup qu’un être est amené à sa perfection, mais par une série d’étapes dans la durée : on est d’abord enfant, et homme ensuite. S. Paul connaît aussi cet argument : “ La loi fut notre pédagogue dans le Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi ; mais du moment que la foi est venue, nous ne sommes plus sous le pédagogue ” (Ga 3, 24).

3° Enfin, la loi nouvelle est la loi de grâce. Il fallait d’abord que l’homme fût abandonné à lui-même dans l’état de la loi ancienne ; ainsi tombant dans le péché et connaissant sa faiblesse, il reconnaîtrait qu’il a besoin de la grâce. Ici encore, dit S. Paul, “ la loi est intervenue pour faire abonder le péché. Mais là où le péché avait abondé, voici qu’a surabondé la grâce ” (Rm 5,20).

Solutions : 1. A cause du péché de son premier père, l’humanité a mérité d’être privée du secours de la grâce. Selon S. Augustin “ lorsque ce secours n’est pas donné, c’est justice, et lorsqu’il est donné, c’est grâce ”. On ne doit donc pas dire que Dieu fait acception des personnes parce qu’il ne propose pas à tous, dès l’origine du monde, la loi de grâce qui devait se présenter au moment voulu.

2. La diversité des lieux n’entraîne pas pour l’humanité un changement d’état comme fait la succession des âges. On comprend donc que la loi nouvelle se propose en tout lieu, mais non en tout temps. Néanmoins, nous le savons, il y eut à toute époque des hommes qui appartenaient à la nouvelle alliance.

3. Les biens nécessaires au salut corporel répondent dans l’homme aux exigences de sa nature, que le péché ne supprime pas, tandis que les biens nécessaires au salut spirituel sont en rapport avec la grâce, que le péché fait perdre.

Article 4

La loi nouvelle doit-elle durer jusqu’à la fin du monde ?

Objections : 1. S. Paul semble insinuer le contraire lorsqu’il dit (1 Co 13,10) : “ Quand sera venu ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. ” Or la loi nouvelle n’est que partielle, puisque l’Apôtre venait justement d’observer (v. 9) : “ Notre connaissance est partielle, nos prophéties sont partielles. ” La loi nouvelle doit donc disparaître un jour, pour faire place à un état plus parfait.

2. Notre Seigneur a promis à ses disciples qu’à l’avènement du Saint-Esprit ils connaîtraient “ la vérité tout entière ” (Jn 16, 13). Or l’Église sous le régime du Nouveau Testament, ne connaît pas encore toute la vérité. Il faut donc attendre un autre état où le Saint-Esprit manifestera toute la vérité.

3. De même que le Père est autre que le Fils, et que le Fils est autre que le Père, de même le Saint-Esprit est autre que le Père et le Fils. Or il y eut un état approprié à la personne du Père, l’état de la loi ancienne, où la génération était en honneur. Il y a aussi un état différent qui se rattache à la personne du Fils, l’état de la loi nouvelle, où le premier rang appartient aux clercs qui s’adonnent à la Sagesse, appropriée au Fils. Il y aura donc un troisième état, celui du Saint-Esprit, où régneront les hommes spirituels.

4. Notre Seigneur affirme (Mt 24,14) : “ Cet évangile du Royaume sera prêché dans tout l’univers et alors viendra la fin. ” Mais il y a longtemps que l’évangile du Christ a été prêché dans l’univers entier, et pourtant la fin n’est pas encore venue. L’évangile du Christ n’est donc pas l’évangile du Royaume, mais il y aura un autre évangile de l’Esprit Saint, c’est-à-dire une autre loi.

En sens contraire, Notre Seigneur a dit : “ je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé ” (Mt 24,34). S. jean Chrysostome voit dans “ cette génération ” celle des fidèles du Christ. L’état qui est le leur doit donc durer jusqu’à la fin du monde.

Réponse : L’état de ce monde peut subir deux sortes de changements: 1° Un changement de loi. En ce sens, aucun autre état ne doit succéder à celui de la loi nouvelle. Celle-ci a déjà elle-même succédé à la loi ancienne comme un état plus parfait succède à un état moins parfait; mais aucun autre état de la vie présente ne peut être plus parfait que celui de la loi nouvelle, car rien ne peut être plus proche de la fin ultime que ce qui y introduit immédiatement. Selon l’épître aux Hébreux (10, 19) : “ Nous avons par le sang de jésus un accès assuré dans le sanctuaire ; il nous a frayé une voie nouvelle, approchons-nous. ” Ainsi ne peut-il y avoir dans la vie présente d’état plus parfait que celui de la loi nouvelle, car plus un être est près de sa fin ultime, plus il est parfait.

2° Mais l’état de l’humanité peut aussi changer en ce sens que, la loi restant la même, les hommes se comportent différemment à son égard, avec plus ou moins de perfection. En ce sens, l’état de la loi ancienne a connu de fréquents changements : par moments, les dispositions légales étaient observées avec soin ; par moments, elles étaient totalement négligées. De même, l’état de la loi nouvelle varie lui aussi, selon la différence des lieux, des époques, des personnes, dans la mesure où la grâce du Saint-Esprit est possédée plus ou moins parfaitement par tel ou tel. Cependant, il n’y a pas à attendre un autre état à venir où la grâce de l’Esprit Saint serait possédée plus parfaitement qu’elle ne l’a été jusqu’ici, notamment par les Apôtres qui “ ont reçu les prémices de l’Esprit ” (Rm 8,23), c’est-à-dire, suivant une glosei, qui ont reçu l’Esprit “ avant les autres et plus abondamment ”.

Solutions : 1. Selon Denys, il y a trois états de l’humanité celui de la loi ancienne, celui de la loi nouvelle, et un troisième qui leur fait suite, non dans la vie présente mais dans la vie future, c’est-à-dire dans la patrie. Le premier de ces états est imparfait et figuratif par rapport à celui de l’Évangile; de même, l’état présent est imparfait et figuratif par rapport à celui de la patrie, et il disparaît quand celui-ci survient : “ Maintenant nous regardons dans un miroir, en énigme ; mais alors ce sera face à face ” (1 Co 13,12).

2. Selon S. Augustin, Montan et Priscille prétendaient que le don de l’Esprit Saint, promis par Notre Seigneur, ne s’était pas réalisé chez les Apôtres, mais en eux-mêmes. De leur côté, les manichéens soutenaient que cette promesse avait été réalisée en la personne de Mani, qu’ils tenaient pour l’Esprit Paraclet. C’est pourquoi les uns et les autres rejetaient les Actes des Apôtres qui montrent à l’évidence l’accomplissement de cette promesse au profit des Apôtres, promesse réitérée par le Seigneur (Ac 1, 5) : “ Vous serez baptisés dans l’Esprit Saint sous peu de jours ”, et dont la réalisation est signalée au chapitre 2 du même livre. Mais ces niaiseries ne résistent pas à l’affirmation de S. Jean (7, 39) : “ L’Esprit Saint n’était pas encore donné, car jésus n’avait pas encore été glorifié. ” Cela fait comprendre qu’aussitôt après la glorification du Fils dans sa résurrection et son ascension, l’Esprit Saint fut donné. Du même coup est exclue l’illusion de tous ceux qui prétendraient qu’on doit attendre un autre âge, celui de l’Esprit Saint.

D’ailleurs le Saint-Esprit a enseigné aux Apôtres la vérité entière, en ce qui est nécessaire au salut, c’est-à-dire en matière de foi et de mœurs. Mais il ne leur a pas enseigné tout ce qui devait arriver dans l’avenir, car cela ne les regardait pas : “ Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa puissance ” (Ac 1, 7).

3. La loi ancienne n’était pas seulement la loi du Père, mais aussi la loi du Fils, qui y était d’avance figuré. “ Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi, dit le Seigneur, puisqu’il a écrit à mon sujet ” (Jn 5,46). Et de son côté la loi nouvelle n’est pas seulement la loi du Christ, mais aussi la loi de l’Esprit Saint. L’épître aux Romains (8,2) parle de la “ loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus ”. Alors n’attendons pas une autre loi qui serait la loi du Saint-Esprit.

4. Le Christ avait dit dès le début de la prédication de l’Évangile : “ Le Royaume des cieux est tout proche ” (Mt 4,17). On ne peut donc soutenir sans absurdité que l’évangile du Christ ne serait par l’évangile du Royaume. - Mais on peut envisager de deux façons la prédication de l’évangile du Christ. Si l’on songe à la diffusion de la connaissance du Christ, l’évangile a été prêché dans tout l’univers dès le temps des Apôtres, comme le démontre S. Jean Chrysostome. En ce sens, la fin du texte allégué : “ et alors viendra la fin ” se réfère à la destruction de Jérusalem, qui était littéralement en cause. Mais on peut aussi considérer la prédication de l’Évangile dans l’univers avec tout son effet, de telle sorte que l’Église soit établie en chaque pays : il faut alors admettre avec S. Augustin dans sa lettre à Hésychius que l’Évangile n’a pas encore été prêché dans tout l’univers ; mais dès que ce sera chose faite, alors viendra la fin du monde.