Le Saint Rosaire
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Chapitre 5

VERS VOUS NOUS SOUPIRONS, GÉMISSANT ET PLEURANT
DANS CETTE VALLÉE DE LARMES

Paragraphe 1

Que l'intercession de Marie nous est nécessaire pour nous sauver

La foi nous enseigne qu'il est, non seulement permis, mais encore utile et conforme à la piété, d'invoquer et de prier les saints, et principalement leur Reine, la très sainte Vierge Marie, afin d'obtenir la grâce divine par leur intercession. Cette vérité, l'Église l'a définie en divers conciles, et elle a condamné comme hérétiques ceux qui réprouvaient l'invocation des saints comme injurieuse à Jésus-Christ, notre unique Médiateur. Si, après sa mort, Jérémie prie pour Jérusalem ; si les vieillards de l'Apocalypse présentent à Dieu les prières des justes ; si saint Pierre promet à ses disciples de se souvenir d'eux dans l'autre vie ; si saint Étienne prie pour ses persécuteurs ; si saint Paul prie pour ses compagnons et ses amis ; il est clair que les saints peuvent prier pour nous ; mais alors, pourquoi ne pourrions-nous pas supplier les saints d'intercéder en notre faveur ? D'un autre côté, saint Paul se recommande aux prières de ses disciples : Priez pour nous, dit-il aux Thessaloniciens ; saint Jacques exhorte les fidèles en ces termes : Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés. Nous pouvons donc, nous aussi, quêter les prières d'autrui, et en particulier celles des saints.

Que Jésus-Christ soit notre-unique Médiateur de justice ; que lui seul nous ait obtenu par ses mérites la réconciliation avec Dieu ; qui le nie ? Mais, d'autre part, c'est une impiété de nier que Dieu se plaise à octroyer ses grâces en ayant égard à l'intercession des saints, et surtout à celle de la divine Mère, Marie, que Jésus désire tant de voir aimée et honorée de nous. Qui ne sait que l'honneur rendu aux parents rejaillit sur leurs enfants ? Les pères sont la gloire de leurs fils, selon le Sage. Qu'on ne craigne donc pas d'obscurcir la gloire du Fils à force de louer la Mère, car honorer la Mère, c'est louer le Fils : " Il n'est nullement douteux, dit saint Bernard, que toutes les louanges que nous donnons à la Mère, ne remontent jusqu'au Fils ". Saint Ildephonse dit pareillement que tout l'honneur qui se rend à la Mère et à la Reine, retourne au Fils et au Roi. En effet, personne n'en doute, c'est en considération des mérites de Jésus-Christ que Marie fut investie de ce grand pouvoir qui la constitue Médiatrice, disons-nous, non pas à titre de justice, mais à titre de grâce et par intercession. Saint Bonaventure n'hésite pas à l'appeler ainsi ; et saint Laurent Justinien demande : Comment ne serait-elle pas pleine de grâce, celle qui est devenue l'Échelle du paradis, la Porte du ciel, la véritable Médiatrice entre Dieu et les hommes ?

A ce propos, Suarez observe avec raison que prier la sainte Vierge de nous obtenir des grâces, c'est témoigner que nous nous défions, non pas de la miséricorde divine, mais de nous-mêmes et de notre indignité ; nous nous recommandons à Marie, afin que sa dignité supplée à notre misère.

Ainsi, que ce soit une chose utile et sainte de recourir à l'intercession de Marie, ceux-là seuls peuvent le révoquer en doute qui renoncent à la foi. Mais le point que nous prétendons établir ici, c'est que l'intercession de Marie nous est même nécessaire pour le salut, c'est-à-dire pour parler avec précision, non pas absolument, mais moralement nécessaire. Et nous disons que cette nécessité découle de la volonté de Dieu même, lequel ne veut pas nous faire de grâces qui ne passent par les mains de Marie. C'est le sentiment de saint Bernard ; et nous pouvons ajouter, avec l'auteur du Règne de Marie, que ce sentiment est communément suivi aujourd'hui par les théologiens et les docteurs. Ainsi ont enseigné Vega, Mendoza, Paciucchelli, Segneri, Poiré, Crasset et un très grand nombre d'autres savants écrivains. Le Père Noël Alexandre lui-même, pourtant si réservé dans ses propositions, affirme aussi que la volonté de Dieu est que nous attendions toutes les grâces par l'intercession de Marie ; et il cite à l'appui le mot célèbre de saint Bernard : " La volonté de Dieu est que nous ayons tout par Marie ". Le Père Contenson soutient la même doctrine ; il explique en ce sens les paroles adressées par Jésus du haut de la croix à saint Jean, et il les commente en ces termes : " Voilà votre Mère, c'est comme si le Sauveur eût dit : Personne n'aura part aux mérites du sang que je répands, si ce n'est par l'intercession de ma Mère. Mes plaies sont les sources de la grâce ; mais les ruisseaux n'en couleront sur aucune âme que par le canal de Marie. Jean, mon cher disciple, vous serez aimé de moi en proportion de l'amour filial que vous aurez pour elle ".

Selon saint Bernard, Dieu a comblé Marie de toutes les grâces, afin que tous les biens destinés aux hommes leur arrivent par elle comme par un canal céleste : " Pareil à un aqueduc plein jusqu'au bord, elle donne à tous de sa plénitude ". Le saint fait en outre une réflexion bien remarquable ! Si, dit-il, avant la naissance de la bienheureuse Vierge, on ne voyait pas dans le monde ce courant de grâces qui s'épanchent aujourd'hui sur tous les hommes, c'est qu'alors cet aqueduc si désirable y manquait. Marie a été donnée au monde afin que, par ce canal de grâces, les dons célestes descendent continuellement jusqu'à nous.

Le démon le sait bien ; aussi, de même que, pour réduire la ville de Béthulie, Holopherne en fit couper les aqueducs, cet esprit malin s'attache de tout son pouvoir à détruire dans les âmes la dévotion envers la Mère de Dieu ; car, ce canal salutaire une fois fermé, il lui devient facile de les subjuguer. " Voyez donc, conclut le même Père, voyez, âmes fidèles, avec quelle affectueuse dévotion le Seigneur veut que nous honorions notre Reine ! Il a mis en elle la plénitude de tous les biens, afin de nous obliger à recourir sans cesse à elle avec une entière confiance en sa protection, et à reconnaître ainsi que, désormais, s'il est pour nous quelque espérance d'obtenir la grâce et d'arriver à la gloire, nous ne pouvons la voir réaliser que par l'entremise de Marie ". - Saint Antonin dit pareillement : " Toutes les grâces qui ont jamais été départies aux hommes, leur sont venues par le moyen de Marie ".

Voilà pourquoi elle est comparée à la lune. Placée entre le soleil et la terre, dit saint Bonaventure, la lune renvoie à cette dernière la lumière qu'elle-même reçoit du soleil ; et Marie reçoit du soleil divin les célestes influences de la grâce, pour nous les transmettre ici-bas.

C'est pour le même motif que la sainte Église l'invoque sous le titre de Porte du ciel : Felix coeli porta. Toute lettre de grâce émanée du roi passe par la porte de son palais ; ainsi, remarque saint Bernard, nulle grâce ne descend du ciel sur la terre, sans passer par les mains de Marie. Et, rendant raison de la même appellation, saint Bonaventure ajoute que nul ne peut entrer dans le ciel, sans passer par cette bienheureuse porte qui est Marie.

Nous sommes encore confirmés dans notre sentiment par saint Jérôme, ou, comme certains le veulent, par un autre auteur ancien, dont le sermon sur l'Assomption a été inséré parmi les oeuvres de ce Père. On lit dans ce sermon que la plénitude de la grâce est en Jésus-Christ comme dans la tête, d'où découlent et se répandent en nous, ses membres, tous les esprits vitaux, c'est-à-dire, les secours divins nécessaires au salut ; et que la même plénitude se trouve en Marie comme dans le cou, par lequel les esprits vitaux descendent dans les membres. Saint Bernardin s'empare de cette pensée et la développe : " C'est par la bienheureuse Vierge, dit-il, que toutes les grâces de la vie spirituelle descendent de Jésus-Christ, Chef sacré de l'Église, dans son corps mystique, c'est-à-dire dans les fidèles ". Et, rendant compte de cette prérogative de la divine Mère, il ajoute : " Depuis qu'il a plu au Seigneur d'habiter dans le sein de la bienheureuse Vierge, elle a en quelque sorte acquis une certaine juridiction sur toutes les grâces ; car Jésus-Christ, en sortant de ses chastes entrailles, fit en même temps sortir d'elle, comme d'un céleste réservoir, tous les courants des dons divins ". - Le saint répète la même chose ailleurs, et en tire cette conclusion qu'à partir de l'Incarnation du Verbe, " nulle créature n'a obtenu de Dieu une grâce quelconque, si ce n'est par les mains de notre bonne et tendre Mère ".

Un auteur interprète dans le sens de notre thèse, le passage où Jérémie prédit, à propos de l'Incarnation du Verbe dans le sein de Marie, qu'une femme environnera l'Homme-Dieu. " De même, dit-il, qu'une ligne tirée du centre d'un cercle ne peut en sortir sans passer par la circonférence, ainsi aucune grâce ne peut nous venir de Jésus-Christ, centre de tout bien, sans passer par Marie, qui, en recevant le Fils de Dieu dans son sein, l'a réellement environné de toute part ".

Il résulte de là, selon saint Bernardin, que tous les dons, toutes les vertus et toutes les grâces, sont dispensés par les mains de Marie, à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut.

Richard de Saint-Laurent dit pareillement : " Dieu n'accorde aucun bien à ses créatures sans le faire passer par les mains de la Vierge Mère ". Aussi le vénérable abbé de Celles exhorte chacun de nous à recourir à cette Trésorière des grâces, comme il l'appelle, assurant qu'elle est le seul canal par où le monde et chaque homme en particulier puissent recevoir les faveurs qu'ils attendent de Dieu.

On le voit clairement : en affirmant que toutes les grâces nous viennent par l'entremise de Marie, tous ces saints, tous ces pieux auteurs n'ont pas voulu attacher à leurs paroles ce sens restreint, à savoir : que de Marie nous avons reçu Jésus-Christ, la source de tout bien. Ils nous déclarent en termes formels, qu'à partir de la naissance de Jésus-Christ, et cela en vertu d'un décret divin, toutes les grâces provenant de ses mérites furent distribuées aux hommes, le sont actuellement, et le seront jusqu'à la fin du monde, par les mains et moyennant l'intercession de Marie.

Pour conclure, nous dirons avec le Père Suarez que selon le sentiment aujourd'hui universel de l'Église, l'intercession de Marie ne nous est pas seulement utile, mais encore nécessaire. Il ne s'agit pas ici, nous le répétons, d'une nécessité absolue : la médiation de Jésus nous est seule absolument nécessaire ; nous parlons d'une nécessité morale fondée sur cette raison que, comme le pense l'Église, d'accord avec saint Bernard, Dieu a décrété de ne nous accorder aucune grâce, si ce n'est par l'entremise de Marie. Et avant saint Bernard, saint Ildephonse avait affirmé la même chose, en parlant ainsi à la glorieuse Vierge : " O Marie ! il a plu au Seigneur de remettre entre vos mains tous les biens qu'il a préparés aux hommes ; il vous a confié tous les trésors et toutes les richesses de ses grâces ". Selon saint Pierre Damien, si Dieu n'a pas voulu se faire homme sans le consentement de Marie, c'est pour deux raisons : premièrement, afin de nous obliger à une extrême reconnaissance envers cette divine Mère ; secondement, pour nous apprendre que le salut de tous les hommes est remis à sa décision.

Saint Bonaventure considère le passage où le prophète Isaïe annonce, sous l'emblème d'une tige et de sa fleur, la naissance de Marie et celle du Verbe fait chair : Il sortira une tige de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine, et sur cette fleur reposera l'Esprit du Seigneur ; or voici la réflexion que lui inspire ce beau texte : " Quiconque désire obtenir la grâce du Saint-Esprit, doit chercher la fleur sur la tige, c'est-à-dire Jésus en Marie : car par la tige nous arrivons à la fleur, et par la fleur nous arrivons à Dieu. Et voulez-vous, ajoute-t-il, avoir cette fleur ? tâchez, à force de prières, d'incliner vers vous la tige, et vous l'aurez ". Le docteur séraphique appuie ce conseil sur le texte de l'Évangile : Les Mages trouvèrent l'enfant avec Marie sa Mère. " Jamais, dit-il, on ne trouve Jésus qu'avec Marie et par Marie ; ainsi donc, conclut-il, celui-là cherche en pure perte Jésus-Christ, qui ne cherche pas à le trouver avec Marie ". De là ce mot de saint Ildephonse : " Pour être serviteur du Fils, je veux l'être de la Mère ". J'aspire à être le serviteur du Fils ; et, comme cela est impossible à quiconque ne l'est pas de la Mère, toute mon ambition est de mériter le titre de serviteur de Marie.

Paragraphe 2

Suite du même sujet

Un homme et une femme ayant coopéré à notre ruine, il convenait, remarque saint Bernard, qu'un autre homme et une autre femme coopérassent à notre réparation ; et c'est ce qu'ont, fait Jésus et Marie. Sans doute, ajoute-t-il, pour nous racheter, c'était assez de Jésus-Christ seul ; mais il était plus convenable que les deux sexes concourussent à notre salut, comme ils avaient concouru à notre perte. C'est pourquoi le bienheureux Albert le Grand donne à Marie le titre de Coopératrice de la Rédemption. Elle disait elle-même un jour à sainte Brigitte que, comme Adam et Ève ont vendu le monde pour un seul fruit, elle et son divin Fils l'ont racheté d'un même coeur. Selon la pensée de saint Anselme, Dieu a bien pu créer le monde de rien ; mais, le monde s'étant perdu par le péché, Dieu n'a pas voulu le restaurer sans la coopération de Marie.

Suivant Suarez, la divine Mère a contribué à notre salut de trois manières : c'est d'abord qu'elle a mérité d'un mérite de convenance, comme disent les théologiens, l'Incarnation du Verbe ; c'est ensuite que, pendant sa vie mortelle, elle s'est appliquée avec beaucoup de zèle à prier pour nous ; c'est enfin qu'elle a fait généreusement à Dieu le sacrifice de la vie de son Fils pour notre rédemption. Eh bien ! en récompense de l'immense gloire qu'elle a rendue à Dieu et de l'ineffable amour qu'elle nous a témoigné en travaillant ainsi à la réhabilitation de tous les hommes, Dieu a statué avec justice qu'aucun n'obtiendrait le salut, si ce n'est par son intercession.

Suivant Bernardin de Bustis, Marie s'appelle la Coopératrice de notre justification, parce que Dieu lui a confié toutes les grâces qu'il voulait bien nous faire. Et saint Bernard en conclut qu'elle est le centre et le point culminant des siècles, et comme le phare salutaire qui attira les regards des générations passées, qui doit attirer ceux de la génération présente, et de toutes les générations futures.

Personne, a dit Jésus, ne peut venir à moi si d'abord mon Père qui m'a envoyé, ne l'attire par sa grâce. Or, selon Richard, il dit pareillement : " Personne ne peut venir à moi si ma Mère ne l'attire par ses prières ". Jésus est le fruit des entrailles de Marie, selon l'expression de sainte Élisabeth : Vous êtes bénie entre les femmes, et béni est le fruit de votre sein. Mais celui qui veut le fruit, doit aller à l'arbre ; et partant, si quelqu'un veut trouver Jésus, il faut qu'il aille à Marie, qu'on ne trouve jamais sans trouver en même temps Jésus. Quand sainte Élisabeth vit la très sainte Vierge qui venait la visiter dans sa maison, ne sachant comment lui témoigner sa reconnaissance, elle s'écria avec une profonde humilité : Comment ai-je pu mériter que la Mère de mon Dieu vînt à moi ? - Mais, demandera-t-on, sainte Élisabeth ne savait-elle pas qu'elle avait chez elle, non seulement Marie, mais encore Jésus ? Au lieu donc de se dire indigne de recevoir la visite de la Mère, pourquoi ne se dit-elle pas plutôt indigne de recevoir celle du Fils ? - Ah ! la sainte savait très bien que, lorsque Marie vient, elle amène avec elle Jésus ; en conséquence, il lui suffisait de remercier la Mère, sans nommer le Fils.

Il est écrit de la femme forte : Pareille au navire d'un marchand, elle apporte son pain de loin. Telle est bien Marie, vaisseau béni qui apporta au monde Jésus-Christ, le pain vivant descendu du ciel pour nous donner la vie éternelle. Je suis, dit-il, le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. D'un autre côté, selon la remarque de Richard, tous ceux-là périront qui voguent sur la mer orageuse du monde en dehors de ce mystique navire, c'est-à-dire sans être protégés par Marie. Ainsi donc, ajoute-t-il, chaque fois que les tentations ou les révoltes des passions, si fréquentes dans cette vie, nous mettent en péril, il nous faut recourir à Marie et pousser vers elle ce cri de détresse : Au secours, ô notre Reine ! sauvez-nous, ou bien vous allez nous voir perdus !

D'après le glorieux saint Gaétan, nous pouvons bien demander les grâces, mais nous ne pourrons jamais les obtenir sans cet appui. Ce que confirme saint Antonin par cette belle expression : " Demander et vouloir obtenir les grâces sans l'intercession de Marie, c'est prétendre voler sans ailes ". - Pharaon confia à Joseph un plein pouvoir sur toute l'Égypte et, dès lors, tous ceux qui venaient au palais demander des secours, il les renvoyait en leur disant : Allez à Joseph ; ainsi, quand nous sollicitons ses grâces, le Seigneur nous renvoie à la bienheureuse Vierge : Allez, dit-il, allez à Marie. Car il a décrété, assure saint Bernard, de ne rien nous accorder, si ce n'est par les mains de Marie. " Si donc les Égyptiens ont pu dire à Joseph : Notre salut est entre vos mains, nous avons bien plus de sujet, remarque Richard de le dire à Marie ; car vraiment notre salut est en son pouvoir ". Le vénérable Idiot exprime la même pensée dans les mêmes termes ; et Cassien, enchérissant encore, dit d'une manière absolue, que le salut de tout homme consiste à être favorisé et protégé par Marie ; en d'autres mots, celui-là se sauve qui jouit de la protection de Marie ; celui-là se perd qui en est privé. Puissante Reine, lui dit saint Bernardin de Sienne, vous êtes la dispensatrice de toutes les grâces ; la grâce du salut ne peut donc nous venir que de votre main, et partant notre salut dépend de vous.

Richard a donc eu raison de dire : " Comme une pierre tombe dès qu'on ôte ce qui la soutient, ainsi une âme qui perd l'appui de Marie, tombe d'abord dans le péché et puis dans l'enfer ".

Saint Bonaventure ajoute que Dieu ne nous sauvera pas si Marie n'intercède pour nous ; comme un enfant ne saurait vivre qui n'a pas de nourrice, dit-il encore, ainsi une âme ne saurait se sauver sans l'aide de Marie. " Que votre âme, conclut-il, soit donc comme altérée des pratiques de dévotion envers Marie ; attachez-vous à cette bonne Mère, et ne la quittez point que vous n'ayez reçu sa bénédiction en paradis ".

Ici trouvent leur place les belles paroles adressées à Marie par saint Germain : " Qui jamais, ô Vierge très sainte, parviendrait sans vous à connaître Dieu ? Qui serait sauvé, s'il ne l'était par vous, ô divine Mère ? Qui pourrait, ô Vierge féconde, échapper aux périls de cette vie, si vous ne l'en délivriez ? Qui recevrait enfin de Dieu une grâce quelconque sinon par votre entremise, ô pleine de grâces " ? Et ailleurs il lui dit encore : " Si vous ne nous ouvriez la voie, nul ne marcherait dans les sentiers de la perfection, nul n'éviterait les atteintes de la chair et du péché ".

Nous n'avons accès auprès du Père éternel que par Jésus-Christ ; de même, nous n'avons accès auprès de Jésus-Christ que par Marie. C'est saint Bernard qui nous l'assure ; et bien belle est la raison qu'il en donne : " Le Seigneur, dit-il, veut que tous nous soyons sauvés par l'intercession de Marie, afin que ce divin Sauveur nous reçoive des mains de Marie, comme il nous a été donné par le moyen de Marie " ; et conséquemment, le saint proclame Marie la Mère de la grâce et de notre salut.

" Quel serait donc notre sort ? reprend saint Germain ; quel espoir nous resterait-il d'être sauvés, si vous nous abandonniez, ô Marie, vous qui êtes la vie des chrétiens " !

Mais, si toutes les grâces passent par Marie, il faudra donc, quand nous implorerons l'intercession des saints, que ceux-ci recourent eux-mêmes à la médiation de Marie, s'ils veulent nous obtenir les grâces que nous leur demandons ?

Je répondrai d'abord que, prise en elle-même, cette conséquence ne renferme aucune erreur, aucun inconvénient. En vue d'honorer sa Mère, Dieu l'a établie Reine de tous les saints ; il lui plaît en outre de n'accorder de grâces que par son entremise ; quel inconvénient peut-il y avoir à dire qu'il oblige encore les saints à recourir à elle pour obtenir les grâces dont leurs protégés ont besoin ?

Cette doctrine est affirmée expressément par saint Bernard, saint Anselme, saint Bonaventure, Suarez et d'autres. " En vain, prierions-nous les autres saints, dit le premier ; si Marie ne nous venait en aide, aucune grâce ne nous serait accordée ". Un auteur explique dans ce sens les paroles suivantes de David : Tous les riches du peuple vous offriront leurs humbles prières. Les riches du peuple par excellence, c'est-à-dire du peuple de Dieu, ce sont les saints ; quand ils souhaitent quelque grâce pour l'un de leurs clients, ils s'adressent à Marie afin qu'elle la lui procure. " Nous n'avons pas coutume, remarque Suarez, d'employer l'intercession d'un saint auprès d'un autre saint, vu que tous sont d'un même ordre ; mais nous faisons bien de les prier de se faire nos intercesseurs auprès de la Vierge, qui est leur Maîtresse et leur Reine ". Et telle fut précisément, au rapport du Père Marchese, la promesse de saint Benoît à sainte Françoise Romaine : lui apparaissant un jour, il l'assura de sa protection, et ajouta qu'il se ferait son avocat auprès de la divine Mère.

A l'appui de cette doctrine, citons encore les paroles de saint Anselme à la bienheureuse Vierge : " Grande Reine, ce que peut obtenir l'intercession de tous les saints faisant cause commune avec vous, votre intercession seule, sans leur concours, le peut de même. Et d'où vous vient cette puissance illimitée ? De ce que vous êtes la Mère de notre Sauveur à tous, l'unique Épouse de Dieu, la Reine du ciel et de la terre. Si vous ne parlez, aucun saint ne priera pour nous, aucun ne nous aidera ; mais si vous consentez à intercéder pour nous, tous aussitôt nous prêteront le secours de leurs prières, et s'empresseront d'appuyer nos requêtes ".

La sainte Église applique à Marie les paroles de la Sagesse : J'ai fait seule le tour du ciel ; et voici comment le Père Segneri justifie cette application : La première sphère céleste communique son mouvement à toutes les autres ; et quand la très sainte Vierge se met à prier pour une âme, elle entraîne tout le paradis à prier avec elle. Saint Bonaventure va plus loin et assure qu'en sa qualité de Reine, elle commande alors à tous les anges et à tous les saints de se joindre à elle et d'offrir à Dieu leurs prières en union avec les siennes.

C'est donc à bon droit que l'Église nous prescrit de saluer et d'invoquer la divine Mère sous le glorieux titre de notre espérance : " O vous, notre espérance, salut " ! L'impie Luther ne pouvait souffrir, disait-il, ce titre donné par l'Église romaine à Marie, à une simple créature. Car enfin, ajoutait-il, Dieu seul, et Jésus-Christ comme notre Médiateur, sont notre espérance, et, selon le mot de Jérémie, Dieu maudit quiconque met son espoir dans la créature. Mais, quoi qu'il ait pu dire, l'Église nous enseigne par sa pratique universelle à invoquer Marie en ces termes : " O notre espérance, salut " ! Celui qui place son espérance dans une créature indépendamment de Dieu, encourt certainement la malédiction de Dieu ; car Dieu est l'unique source et le dispensateur de tous les biens ; la créature n'a rien, ne peut rien donner qu'elle n'ait reçu de lui. Mais s'il est vrai, comme nous l'avons prouvé, qu'en vertu d'un décret divin, toutes les grâces nous viennent par Marie comme par un canal de miséricorde, nous pouvons, nous devons même affirmer qu'elle est notre espérance.

Aussi saint Bernard n'hésitait pas à dire : " Mes enfants, en Marie est ma principale confiance ; Marie est tout le fondement de mon espérance ". Saint Jean Damascène priait la sainte Vierge en termes non moins expressifs : " Ma Souveraine, j'ai mis en vous toute ma confiance ; et, les yeux fixés sur vous, j'attends de vous mon salut ". " Marie est toute l'espérance de notre salut ", dit également saint Thomas ; et saint Ephrem lui parle ainsi à elle-même : " Notre espérance n'a point d'appui en dehors de vous, ô Vierge très pure ; si donc vous voulez nous voir sauvés, recevez-nous sous l'aile de votre tendresse, et gardez-nous ".

Pour conclure, je dirai avec saint Bernard : " Consacrons toutes les affections de notre coeur à honorer Marie, car telle est la volonté que nous a manifestée le Seigneur, en réglant que tout bien nous viendrait par l'entremise de cette divine Mère ". Chaque fois donc que nous désirons et sollicitons une grâce, efforçons-nous de faire appuyer notre requête par Marie, et tenons-nous sûrs de l'obtenir par elle : " Cherchons la grâce, dit saint Bernard, et cherchons la par Marie ; car si nous sommes indignes d'être exaucés, Marie en est digne, elle, et la faveur que nous souhaitons, elle la demandera pour nous ".

Enfin, voulons-nous faire agréer au Seigneur l'offrande de quelque bonne oeuvre, de quelque prière ? suivons le conseil du même saint, ayons soin de remettre tout entre les mains de Marie ; par là, jamais nous ne serons rebutés.