Le Saint Rosaire
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Chapitre 4

ENFANTS D'ÈVE, EXILÉS, NOUS CRIONS VERS VOUS

Paragraphe 1

Combien Marie est prompte à secourir ceux qui l'invoquent

Pauvres enfants de la malheureuse Ève, et, comme tels, coupables aux yeux de Dieu de la même faute et condamnés à la même peine, nous errons çà et là dans cette vallée de larmes, exilés de notre patrie, gémissant sous le poids de maux innombrables qui nous affligent dans le corps et dans l'âme ! Mais, au milieu de ces peines, heureux celui qui tourne souvent ses regards vers la Consolatrice du monde, le Refuge des misérables, l'auguste Mère de Dieu, et l'invoque et la prie avec ferveur ! Heureux, dit Marie, celui qui écoute mes conseils, et qui veille continuellement aux portes de ma miséricorde, pour invoquer mon intercession et mon secours.

La sainte Église, notre Mère, nous enseigne clairement, par le culte spécial qu'elle lui voue, avec quel empressement et quelle confiance nous devons recourir sans cesse à cette bienveillante protectrice : elle célèbre dans le courant de l'année un grand nombre de fêtes en l'honneur de Marie ; elle consacre spécialement à son service un jour de chaque semaine ; elle veut que, chaque jour, dans l'office divin, les ecclésiastiques et les religieux l'invoquent au nom de tout le peuple chrétien ; trois fois le jour, au son des cloches, elle invite tous les fidèles à la saluer. Au surplus, comment douter de l'intention de l'Église à cet égard, quand on la voit, dans toutes les calamités publiques, s'adresser à la Mère de Dieu et ne négliger, pour se la rendre favorable, aucune des pratiques pieuses, telles que neuvaines, prières spéciales, processions, visites de ses églises ou de ses images ? Et, remarquons-le bien, si Marie désire être invoquée et priée ainsi pour nous en toute occurrence, ce n'est pas qu'elle mendie nos hommages, toujours fort au-dessous de son mérite, mais elle veut que, par des progrès toujours nouveaux en confiance et en dévotion envers elle, nous méritions de sa part une plus grande abondance de secours et de consolations. Ainsi l'entendait saint Bonaventure : " Marie cherche, dit-il, des âmes qui recourent à elle avec de vifs sentiments de respect et d'amour ; car ce sont celles-là qu'elle chérit, qu'elle nourrit, qu'elle embrasse comme ses enfants ".

Selon la pensée du même docteur, Marie fut préfigurée par Ruth, dont le nom signifie " celle qui voit et qui se hâte " ; car, quand Marie nous voit dans la tribulation, elle en est touchée et se hâte de nous venir en aide. " Dans son désir de nous favoriser, ajoute Novarin, elle ne peut souffrir de retard ; et, loin de retenir ses grâces d'une main avare, cette Mère de miséricorde n'a rien de plus pressé que de répandre sur ses serviteurs les trésors de sa munificence ".

Oh ! comme cette bonne Mère est prompte à secourir quiconque l'invoque ! En expliquant un passage des Cantiques, Richard de Saint-Laurent fait cette remarque : " Le coeur maternel de Marie n'est pas moins prompt à donner le lait de la miséricorde à ceux qui le demandent, que les jeunes chevreuils ne le sont à bondir ; un simple Ave Maria suffit, assure-t-il, pour faire jaillir à flots ce lait bienfaisant ". Et, selon Novarin, la bienheureuse Vierge ne se contente pas de courir, elle vole au secours de ceux qui l'invoquent. Dans l'exercice de la miséricorde, dit-il, elle ne peut manquer d'imiter le Seigneur : fidèle à la promesse qu'il nous a faite en ces termes : Demandez et vous recevrez, Dieu semble prendre des ailes, quand il s'agit d'aller tirer de la peine une âme qui l'appelle à son aide ; ainsi fait aussi Marie quand nous la prions ; elle ne sait nous différer son assistance. Par là, on comprend quelle est cette femme dont il est dit dans l'Apocalypse : Il fut donné à la femme deux grandes ailes pareilles à celles de l'aigle. Par ces ailes, Ribeira entend celles de l'amour, à l'aide desquelles Marie s'élevait sans cesse vers Dieu. Mais le bienheureux Amédée donne une explication plus conforme à notre sujet ; pour lui, ces ailes d'aigle marquent la promptitude de Marie à secourir ses enfants. Les séraphins eux-mêmes, ajoute-t-il, ne sauraient égaler la rapidité de son vol.

Tout ceci est confirmé par un passage de l'Évangile. Quand Marie alla visiter sainte Élisabeth et combler de grâces toute cette heureuse famille, elle ne marcha pas avec lenteur, mais, selon la remarque de saint Luc, elle fit grande diligence pendant tout le trajet ; ce qui n'est pas dit de son retour. Pourquoi, dans les sacrés Cantiques, est-il dit des mains de Marie qu'elles semblent faites au tour ? " L'art du tour, répond Richard, est de tous le plus prompt et le plus expéditif ; et Marie est plus prompte qu'aucun autre saint à tendre une main secourable à ses dévots ". Ineffable est son désir de consoler tout le monde, ajoute Louis de Blois ; aussi elle n'a pas sitôt entendu une voix suppliante s'élever vers elle, qu'elle y prête une oreille favorable et l'exauce. Qu'il avait donc raison saint Bonaventure, quand, s'adressant à Marie, il s'écriait : " O toi, le salut de ceux qui t'invoquent " ! Par là il donnait à entendre qu'il suffit pour être sauvé d'invoquer cette divine Mère, toujours prête, assure Richard de Saint-Laurent, à secourir quiconque la prie. Et nous ne devons point nous en étonner, puisque, selon Bernardin de Bustis, cette grande Reine ressent un plus vif désir de nous accorder ses grâces, que nous de les recevoir.

La multitude même de nos péchés ne doit pas diminuer en nous la confiance d'être exaucés de Marie, quand nous irons nous jeter à ses pieds : elle est Mère de miséricorde ; or, la miséricorde resterait sans emploi, si elle ne trouvait des misères à soulager. Une bonne mère qui verrait son enfant infecté de la lèpre, ne saurait lui refuser ses soins, bien qu'il lui en coûtât beaucoup de peines et de dégoûts ; et, quand nous réclamons les soins de Marie, elle ne saurait nous repousser, si grande que soit l'infection des péchés dont nous sollicitons la guérison ; elle n'a pas oublié, ajoute Richard, que c'est en faveur des pécheurs queue est devenue la Mère d'un Dieu qui est la miséricorde en personne. Et tel est précisément le sens d'une vision dont fut favorisée sainte Gertrude : elle voyait la glorieuse Vierge ouvrant son manteau comme pour donner asile à tous ceux qui voulaient se réfugier auprès d'elle. La sainte comprit en même temps que les anges sont attentifs à défendre les pieux serviteurs de leur Reine contre les attaques de l'enfer.

Au reste, la tendresse vraiment maternelle de Marie à notre égard et sa compassion pour nos maux vont si loin, qu'elle n'attend pas nos prières pour nous secourir : Elle prévient ceux qui la désirent et se présente à eux la première. Ces paroles de la Sagesse lui sont appliquées par saint Anselme : Sur un simple désir de notre part, dit-il, Marie nous accorde sa protection ; ce qui veut dire qu'elle nous obtient de Dieu beaucoup de grâces avant que nous l'en ayons priée. C'est pourquoi, selon Richard de Saint-Victor, le Sage la compare à la lune. Ce bel astre l'emporte sur les autres en rapidité, et, nous l'avons dit, rien n'égale la promptitude de Marie à nous secourir. Mais de plus, elle ne se montre pas telle seulement quand nous l'invoquons : elle pousse le zèle de notre bien jusqu'à prévenir nos prières quand elle nous voit dans le besoin ; et nous sommes moins prompts à implorer son appui, qu'elle à nous le prêter. Écoutons la touchante raison qu'en donne cet auteur : " Le Seigneur, ô Marie, a tellement rempli de tendresse votre sein maternel, que la simple connaissance de notre misère en fait couler le lait de la miséricorde ; et vous ne sauriez, ô douce Reine, être témoin des besoins d'une âme, sans lui venir aussitôt en aide ".

Mais déjà pendant sa vie terrestre, Marie donnait des marques de cette grande bonté qui la porte à compatir à nos peines et à les adoucir, alors même que nous ne la prions pas : à preuve ce que, selon saint Jean, elle fit aux noces de Cana. Voyant le cruel embarras des deux époux, désolés et confus de ce que le vin allait manquer à la table du banquet, cette tendre Mère n'attendit point qu'on eut recours à elle ; mais, cédant à la seule inclination de son coeur, incapable de voir l'affliction d'autrui sans la partager, elle vint prier son divin Fils de consoler ses hôtes ; et, lui exposant simplement le besoin dans lequel ceux-ci se voyaient : Ils n'ont plus de vin, lui dit-elle. Et Jésus, désireux de tirer cette famille de la peine, désireux surtout de contenter le coeur compatissant de sa Mère, Jésus, disons-nous, opéra le miracle que tout le monde connaît : il changea en vin l'eau dont on avait rempli six grandes urnes. Sur quoi Novarin raisonne ainsi : Si Marie, même sans être priée, se montre si empressée à secourir les affligés, combien plus le sera-t-elle à consoler ceux qui l'invoquent et qui réclament son assistance !

Et si quelqu'un craignait de voir sa prière rebutée par Marie, Innocent III le reprendrait de sa défiance en ces termes : " Et qui donc invoqua jamais cette douce Souveraine sans être exaucé " ?

Que celui-là écoute le bienheureux Eutychien, lequel s'écrie pareillement : O glorieuse Vierge, qui a jamais imploré votre protection assez puissante pour soulager tous les malheureux et sauver lés pécheurs les plus désespérés, et s'est vu abandonné de vous ? Cela n'est jamais arrivé, et n'arrivera jamais.

Qu'il écoute saint Bernard : " Je le veux bien, ô Vierge sainte, dit le saint docteur, que celui-là ne parle plus de votre miséricorde, n'en fasse plus l'éloge, qui vous aurait invoquée dans ses besoins, et se souviendrait d'avoir été délaissé par vous ".

" On verra le ciel et la terre tomber en ruines, ajoute Louis de Blois, avant que Marie refuse son secours à une âme qui le lui demande avec une intention droite et en plaçant son espoir en elle ".

Saint Anselme ajoute encore à tous ces motifs de confiance : Non seulement nous devons compter sur la protection de la divine Mère quand nous nous recommandons à elle, dit-il, mais parfois nous serons plus vite exaucés et sauvés en invoquant le saint nom de Marie, qu'en invoquant le saint nom de Jésus, notre Sauveur. " La raison en est, ajoute-t-il, que le Fils est notre Seigneur et notre juge... ; mais quand nous invoquons le nom de la Mère, si nous ne méritons pas d'être exaucés, les mérites de la Mère interviennent en notre faveur et nous font exaucer ". C'est-à-dire : si nous parvenons plus vite au salut en priant la Mère qu'en priant le Fils, ce n'est pas que Marie ait plus de pouvoir que son divin Fils pour nous sauver ; nous savons, en effet, que Jésus-Christ est notre unique Sauveur, que lui seul, par ses mérites, nous a obtenu et nous obtient le salut ; mais, en recourant à Jésus-Christ, nous voyons en lui non seulement notre Sauveur, mais encore notre Juge, à qui revient le droit de punir les ingrats ; et il peut nous arriver ainsi de manquer de la confiance requise pour être exaucé.

Il n'en est pas de même quand nous nous adressons à Marie, dont l'unique office est de compatir à nos peines comme Mère de miséricorde, et de nous défendre comme notre Avocate : notre confiance alors est plus ferme, ce semble, et plus entière. Nicéphore nous donne de ceci une autre raison non moins solide : On demande beaucoup de choses à Dieu, et on ne les obtient pas, nous dit-il ; on les demande à Marie, et on les obtient ; comment cela se fait-il ? ce n'est pas que Marie soit plus puissante que Dieu, mais c'est que Dieu a voulu honorer ainsi sa Mère.

Elle est bien consolante, la promesse que sainte Brigitte recueillit à ce sujet de la bouche du Seigneur lui-même. On lit dans ses Révélations, qu'elle entendit un jour Jésus qui parlait ainsi à sa Mère : Ma Mère, demandez-moi tout ce que vous voudrez ; je ne rejetterai jamais aucune de vos requêtes. Sachez en outre, ajoute-t-il, que tous ceux qui solliciteront de moi quelque grâce, en me priant de la leur accorder pour l'amour de vous, je promets de les exaucer, fussent-ils pécheurs, pourvu qu'ils aient la volonté de s'amender. - La même chose fut révélée à sainte Gertrude. Elle entendit notre divin Rédempteur dire à Marie que, dans sa toute-puissance, il lui avait accordé d'user de miséricorde envers les pécheurs qui l'invoqueraient, et de le faire en la manière qui lui plairait davantage.

Que chacun donc, en invoquant cette Mère de miséricorde, lui dise avec grande confiance ce que lui disait saint Augustin : " Souvenez-vous, ô très clémente Reine, que, depuis l'origine du monde, on n'a jamais ouï dire que vous ayez abandonné personne. Pardonnez-moi donc, si j'ose vous déclarer que je ne veux pas être abandonné de vous, après avoir eu recours à votre protection ".

Paragraphe 2

Combien Marie est puissante à défendre
ceux qui l'invoquent contre les attaques du démon

La très sainte Vierge Marie n'est pas seulement Reine du ciel et des saints ; son pouvoir s'étend encore sur l'enfer et sur les démons, dont elle a triomphé par l'héroïsme de ses vertus. Déjà à l'origine du monde, Dieu prédit au serpent infernal cette glorieuse victoire de notre Reine, et l'empire que par suite elle devrait exercer sur lui ; car, dès lors, il lui annonça la venue en ce monde d'une femme qui ruinerait sa puissance : Je mettrai, lui dit-il, des inimitiés entre toi et la femme ; elle te brisera la tête.

Quelle fut en effet, cette femme, cette ennemie du serpent, si ce n'est Marie, qui, par son admirable humilité et sa sainte vie, le vainquit toujours et anéantit ses forces ? C'est ce qu'enseigne saint Cyprien, et après lui un autre ancien auteur, lequel fait observer en outre que Dieu ne dit pas, au présent : Je mets, mais au futur : Je mettrai, pour indiquer que cette femme victorieuse de Satan, ne serait pas Ève, alors vivante, mais une autre femme qui descendrait d'elle, et apporterait à nos premiers parents, selon la pensée de saint Vincent Ferrier, plus de biens qu'ils n'en avaient perdu par leur faute. Marie est donc cette femme par excellence, qui a vaincu le démon, et lui a brisé la tête, selon la divine prédiction, en réprimant son orgueil. Quelques-uns doutent, à la vérité, si cette prophétie ne concerne pas plutôt Jésus-Christ que Marie, parce que la version des Septante porte : Il te brisera la tête ; mais, dans notre Vulgate, seule version approuvée comme règle de foi par le Concile de Trente, nous lisons : Elle, et non : Il te brisera la tête. Ainsi d'ailleurs ont lu et compris saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostôme, et beaucoup d'autres. Quoi qu'il en soit, il demeure certain, ou que le Fils à défait Lucifer par le moyen de sa Mère, ou que la Mère en a triomphé par la puissance de son Fils ; en sorte que l'esprit superbe s'est vu, à son grand dépit, abattu et foulé aux pieds de cette Vierge bénie, dit saint Bernard ; et, comme un prisonnier de guerre est de droit l'esclave de son vainqueur, Satan se voit pour toujours forcé d'obéir aux injonctions de notre Reine. En se laissant vaincre par le serpent, Ève nous apporta la mort et les ténèbres, remarque saint Bruno ; mais, en domptant, en enchaînant le démon, Marie nous apporta la vie et la lumière. Oui, elle l'a enchaîné, et de telle sorte que cet ennemi est hors d'état de nuire en rien à ceux qui la servent avec amour.

Bien beau est le commentaire de Richard sur les paroles des Proverbes : Le coeur de son époux se confie en elle, et il ne manquera point de dépouilles. Jésus est l'Époux de toutes les âmes saintes, et avant tout de celle de Marie. Or, dit cet auteur, il ne saurait manquer de dépouilles, parce que, tous les esclaves du démon que Marie délivre par ses prières, ses mérites et ses exemples, elle les soumet au domaine de cet Époux divin. Toute semblable est l'interprétation de Cornelius : Dieu, dit-il, a remis entre les mains de Marie le Coeur de Jésus, afin qu'elle prenne soin de le faire aimer des hommes. Comment donc manquerait-il de dépouilles ? Marie lui apporte un nombre infini d'âmes, dépouilles opimes que sa puissance secourable enlève à Satan.

On sait que la palme est le symbole de la victoire ; c'est pourquoi notre Reine a été placée sur un trône élevée, en face de tous les potentats, comme un palmier, pour signifier la victoire que peuvent se promettre en toute assurance ceux qui se mettent sous sa protection. Ainsi peuvent s'entendre ces paroles dans sa bouche : J'ai été élevée comme un palmier en Cadès, - et cela, pour vous défendre, ajoute le bienheureux Albert le Grand. Mes enfants, semble-t-elle nous dire par là, quand l'ennemi vous attaque, recourez à moi ; regardez-moi, et prenez courage ; car vous verrez en moi votre défense et votre victoire tout à la fois. - Le recours à Marie est donc un moyen très sûr de vaincre tous les assauts de l'enfer. Et, en effet, selon saint Bernardin de Sienne, elle étend son empire jusque dans l'enfer ; elle règne en souveraine sur les démons eux-mêmes ; c'est elle qui les dompte et les terrasse. Aussi est-il écrit de Marie qu'elle est terrible pour les puissances de l'enfer, comme une armée en bon ordre, tant elle sait bien disposer son pouvoir, sa miséricorde et ses prières, pour la confusion de ses ennemis, et pour le plus grand bien de ses serviteurs qui, dans les tentations, invoquent son tout-puissant secours.

Semblable à la vigne, lui fait dire l'Esprit-Saint, j'ai produit des fleurs d'une odeur agréable. - Or, remarque saint Bernard sur ce passage, lorsque la vigne fleurit, on assure que tous les reptiles venimeux s'en éloignent ; de même, les démons fuient loin de ces âmes heureuses dans lesquelles ils sentent l'odeur de la dévotion envers Marie. - Elle est aussi comparée au cèdre : Je me suis élevée comme le cèdre sur le Liban ; parce que, si le cèdre est incorruptible, Marie fut exempte du péché ; et plus encore parce que, selon la remarque du cardinal Hugues, comme l'odeur du cèdre met en fuite les serpents, la sainteté de Marie met en fuite les démons.

L'arche d'alliance assurait la victoire aux Israélites. C'est sur son secours que comptait Moïse pour voir les ennemis en déroute : Quand on élevait l'arche, Moïse disait : Levez-vous Seigneur, et que vos ennemis se dispersent. Ainsi tombèrent les murs de Jéricho ; ainsi furent vaincus les Philistins ; car l'arche de Dieu était là, dit l'Écriture, rendant compte de ces glorieux triomphes. Or, on le sait, l'arche était la figure de Marie. Dans l'arche se trouvait la manne, dit le Père Cornelius, et en Marie se trouve Jésus, préfiguré par la manne ; et c'est par le moyen de cette arche qu'il nous rend victorieux des ennemis que la terre et l'enfer arment contre nous. De là cette pensée de saint Bernardin de Sienne, que, quand Marie, cette arche du nouveau Testament, fut élevée au ciel pour en être la Reine, le pouvoir de l'enfer sur l'humanité fut affaibli et ruiné.

" Oh ! s'écrie saint Bonaventure, comme les démons redoutent Marie, comme son grand nom les fait trembler " ! Le même saint compare ces ennemis des âmes aux larrons dont il est écrit au livre de Job : A la faveur des ténèbres, ils vont piller les maisons, où ils pénètrent en perçant le mur ; mais quand l'aurore vient à paraître, ils s'enfuient comme s'ils voyaient l'ombre de la mort. Ainsi font les démons, dit saint Bonaventure ; ils entrent dans nos âmes à la faveur des ténèbres de l'ignorance ; mais, aussitôt qu'apparaissent dans une âme la grâce et la miséricorde de Marie, les ténèbres se dissipent devant cette belle aurore, et les mauvais esprits s'enfuient comme pour éviter la mort. Heureux donc celui qui, dans ses luttes contre l'enfer, invoque le beau nom de Marie.

Cette doctrine fut confirmée par une révélation faite à sainte Brigitte. Dieu, apprit-elle, a donné à Marie un tel pouvoir sur tous les démons, que, quand un de ses serviteurs assailli par eux réclame son secours, d'un signe elle les épouvante et les met en fuite ; ils aimeraient mieux voir redoubler leurs supplices que de sentir peser plus longtemps sur eux le joug de la puissance de la Vierge.

Faisant l'éloge de cette Épouse bien-aimée, l'Époux divin la compare au lis, et dit qu'elle est entre les autres vierges ce que le lis est entre les épines. Sur quoi Cornelius fait la réflexion suivante : " Le lis est un spécifique contre le venin des serpents et les autres poisons ; et l'invocation de Marie est un remède souverain contre toutes les tentations, spécialement celles d'impureté ; c'est ce dont peuvent rendre témoignage tous ceux qui en ont fait l'expérience ".

Saint Jean Damascène disait à Marie, et quiconque a le bonheur d'être attaché au service de cette grande Reine, peut lui dire pareillement : " O Mère de Dieu, si j'espère en vous, bien certainement je ne succomberai point ; soutenu par vous, je poursuivrai mes ennemis ; à leurs traits j'opposerai le bouclier de votre protection et de votre puissance tutélaire, et je me tiens sûr de les vaincre ". Le savant moine Jacques, compté parmi les Pères grecs, a donc pu s'exprimer ainsi en s'adressant au Seigneur : En nous donnant cette sainte Mère, vous nous avez remis entre les mains l'arme la plus puissante contre tous nos ennemis, et le gage le plus assuré de la victoire.

Selon le récit des Livres saints, quand le peuple juif fut sorti de l'Égypte, le Seigneur le guida depuis ce pays jusqu'à la Terre promise, le jour par une colonne de nuée, et la nuit par une colonne de feu. Cette merveilleuse colonne, tantôt nuée et tantôt feu, préfigurait Marie, remarque Richard, et le double office de charité qu'elle exerce continuellement en notre faveur : comme nuée, elle nous met à couvert des ardeurs vengeresses de la divine justice ; et, comme feu, elle nous protège contre les démons. Car, à l'égard des démons, cette glorieuse créature est un feu dévorant : la cire approchée d'un brasier se fond et s'écoule ; de même, assure saint Bonaventure, les esprits impurs sentent leurs forces brisées en présence des âmes qui se rappellent fréquemment le nom de Marie et l'invoquent avec dévotion, surtout si elles s'étudient à l'imiter.

Oh ! comme les démons tremblent, dès que retentit à leurs oreilles le nom de Marie ! " Non seulement les rebelles craignent la Vierge, dit saint Bernard ; mais, de plus, qu'ils viennent seulement à entendre son nom de Marie, les voilà qui tremblent de frayeur ". Thomas a Kempis en parle de même : " Les esprits malins redoutent la Reine du ciel ; son nom seul est pour eux comme un feu aux atteintes duquel ils se dérobent par la fuite. Et si les hommes se laissent tomber de frayeur quand la foudre éclate à leurs pieds, les démons ne sont pas moins épouvantés, abattus par le nom de Marie ".

Et combien de glorieuses victoires sur ces ennemis du salut les serviteurs de Marie ont dues à la vertu de son saint nom ! Ainsi les a vaincus saint Antoine de Padoue, ainsi le bienheureux Henri Suson, ainsi tant d'autres amants de Marie. On sait par les relations des missionnaires du Japon, qu'un jour, dans ce pays, une troupe de démons apparurent à un chrétien, sous la forme d'animaux féroces ; comme ils cherchaient à l'épouvanter par leurs menaces, il leur répondit : " Je n'ai point d'armes qui puissent vous nuire ; si le Très-Haut vous le permet, faites de moi tout ce que vous voudrez ; seulement, j'emploierai pour ma défense les doux noms de Jésus et de Marie ". Il avait à peine dit, et voilà qu'au son de ces noms redoutables, la terre s'ouvre, et ces esprits superbes s'y précipitent. Saint Anselme atteste que beaucoup de personnes qu'il a lui-même vues et entendues, ont soudainement échappé, pour avoir prononcé le nom de Marie, aux périls qui les menaçaient.

Que votre nom est glorieux et admirable, ô Marie ! ceux qui n'oublient pas de le prononcer à l'article de la mort, n'ont rien à craindre, eussent-ils contre eux l'enfer tout entier ; car les démons abandonnent une âme sitôt qu'ils l'entendent prononcer le nom de Marie. - Ainsi parle saint Bonaventure ; et il ajoute que les rois en guerre avec leurs voisins ne redoutent pas une nombreuse armée, comme les puissances de l'enfer redoutent le nom de Marie et sa protection. O Vierge puissante, dit saint Germain, la seule invocation de votre nom met vos serviteurs en sûreté contre tous les efforts de leurs ennemis.

Ah ! plût au ciel que, dans les tentations, les chrétiens fussent attentifs à invoquer avec confiance le nom de Marie ! il est certain qu'ils ne tomberaient jamais. Non, jamais, dit Alain de la Roche, car, dès que le tonnerre de ce grand nom vient à éclater, les démons fuient, et l'enfer tremble. Et, selon une révélation de notre céleste Reine à sainte Brigitte, il n'est pas de pécheur tellement désespéré, tellement éloigné de Dieu et livré au pouvoir des démons, que ces ennemis ne l'abandonnent tout d'abord, pourvu qu'avec un sincère propos de s'amender, il ait recours au tout-puissant nom de Marie. Seulement, ajouta-t-elle, si l'âme pécheresse ne se corrige, et ne se purifie du péché par le repentir, les démons reviennent bientôt à elle, et continuent de la tenir sous leur joug.